lundi 30 juillet 2007

Bilan

À passer ses journées à avoir le temps, il arrive fatalement, cet instant où l'on pose un regard critique sur sa propre vie. Mais attendons. Prenons les choses par ordre d'arrivée.
D'abord ce que l'on appelle communément du temps libre. Un long temps libre. Et qui dit long temps libre avec un minimum de soucis peut très bien dire : oisiveté.
L'oisiveté a cela de positif : avant que les vices ne s'emparent de toi de façon inéluctable, ta relative détente te permet enfin de savourer la paresse. D'abord le calme mental, le sourire à tout ce qui vit même dans l'espace exigu de ta soupente. Il y a toujours un rayon de lumière qui passe la lucarne ou quelques gouttes de pluie qui font des claquettes - hein, vieux Claude - sur la vitre unique de ladite.
Et comme de bien entendu, ça ne dure pas. Insidieusement naissent quelques rides à la surface des eaux bien planes. Ce sont les premières brises de ton flux mental qui n'a pas l'habitude de naviguer tout seul, sans cap, même pas à l'estime. En bref aucun point de repère particulier.
Puisqu'aucun point de mire ne vient juguler toutes ces pensées livrées à leur propre sauvagerie, ta conscience commence à donner des signes de frayeur. La pièce où tu vis, de vaste palais se transforme rapidement en masure irrespirable. Tu crois en ta soif de respirer, tu es l'animal en cage qui ne rêve que de liberté, celle-là même que tu vivais à peine quelques instants auparavant.
Pourtant personne ne te force, tu es seul et libre de tous tes mouvements. C'est là le sel de la chose.
Ni lecture, ni télé, ni ordinateur, pas la moindre distraction pour aider ces turbulences à se trouver des rails pour un moment d'équilibre dans le mouvement. Il te faut donc une stratégie car le danger s'annonce.
Cependant rien ne t'attire. Ni le dehors, ni le dedans, ni les livres, les films ou même l'étude de quelque chose, dans le meilleur des cas. Tu es une sorte de blasé, un candidat idéal pour la déprime, le désespoir voire la folie.
Il te reste une seule carte, ton joker. Ton joker c'est ta lucidité, ta capacité à regarder et peut-être à comprendre. Et encore, pas facile de l'utiliser cette carte maîtresse si tu t'enlises et te laisse berner une fois de plus par les vagues de plus en plus hautes qui te chahutent dans tous les sens, exactement comme une tempête naissante dans le Golfe du Lion gonflant jusqu'à force dix avec des murs d'eau devant, derrière et sur les côtés, secouant ton bateau. Mais là, heureusement, tu connais le degré de ton cap et tu peux travailler dur à la barre pour le maintenir, même à sec de toile ou presque.
Ici, c'est beaucoup plus dangereux. Comme si tu n'avais plus de safran. Impossible de se diriger, donc.
Il faut sortir cette satanée carte sinon c'est la noyade, pardieu !
Le ciel est gris-noir, l'angoisse commence à t'étreindre sérieusement. Tu es pris en sandwich entre l'ennui et le désarroi, entre de vagues désirs d'espaces lointains - partout mais pas ici - et de vagues de dons tombant du ciel par miracle et peut-être encore - c'est terrible - es-tu obnubilé par ce désir de tendresse innassouvie que tu ne vois nulle part dans ce brouillard à la trame de plus en plus dense, comme le filet qui se resserre sur l'animal sauvage auquel tu ressembles davantage à chaque instant .
Tu peux même en arriver à hurler, à ruer, à sauter, à cogner les murs de ta tête, à maudire la terre entière responsable de tes malheurs. C'est con quand-même, tu en conviendras.
La tempête à l'intérieur, rien de pire pour le voyageur. C'est le plus vicieux des pièges.
La carte, bon sang !... Là, peut-être, un miracle, une ouverture dans la poix qui t'entoure, un réflexe de survie plus profond qui émerge et te donne la force de respirer un bon coup.
Tu souffles. Tu t'asseois sur ton paddock et te désolidarise de ce magma en fusion grâce, sans doute, à une de ces qualités innées dont tu as à peine conscience et qui font bien partie de ta vie, pourtant. Tu décides de regarder. Tu as accepté la douleur, la mort, tous les désespoirs et tu commences d'ailleurs à trouver cela un peu dérisoire, que diable. Tu t'admonestes. Tu te traites de crétin. Bien, c'est un bon début : le joker commence à se montrer.
Et le spectacle commence. Comme ton esprit critique est assez développé, tout y passe. Tu n'es pas tendre avec toi-même. Doucement, mon gars, ne donne pas dans ce genre d'excès non plus. Ça ne fait qu'alimenter ton sentiment d'importance. C'est malin, tu sais, les gyrophares des consciences. Faut y aller à pas de loup.
Et puis, tranquillisé maintenant, tu commences à apercevoir quelque chose : ça bouge sans arrêt et si tu sais te tenir peinard devant cette foule bruyante du labyrinthe de tes pensées, sans te laisser distraire, c'est beaucoup plus vivable. Et même si tu en viens à convenir que tu n'es qu'un raté, que tu as mené ton existence sans qualités manifestes, même cela ne te déstabilise plus. Tu as enfin compris qu'un cavalier doit rester stable sur sa monture. Pas évident, c'est sûr, mais c'est déjà la première leçon de ton joker que tu as réussi à avaler, mon couillon ! Si ce n'est pas du pot, qu'est-ce que c'est ?

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